Les auteurs sont chez eux dans les librairies indépendantes, et nous avons souhaité, à l'occasion de l'anniversaire de la loi Lang, donner la parole à ces amoureux des livres et des mots.
Depuis 40 ans, le prix unique du livre permet de conserver un cercle vertueux unique : les auteurs et leurs éditeurs enrichissent les tables des librairies d’une grande diversité de textes, les libraires se font passeurs afin de mettre ces écrits entre les mains des lecteurs. Clients assidus, fidèles ou préférant la pluralité, et surtout amis de la librairie, les auteurs qui ont participé aux tournées de LINA nous parlent du lecteur / de la lectrice qu’ils.elles sont, et de leur lien indéfectible à la librairie. Notre invité est aujourd’hui François Bégaudeau, auteur en 2020 de Un enlèvement aux éditions Verticales.
Régulier dans l’effort depuis 35 ans. Nombre stable de lectures annuelles. Juste une petite baisse de régime lors des périodes d’immersion dans les gros chantiers d’écriture. C’est mathématique : les heures passées à écrire ne le sont pas à lire. C’est pourquoi il est très rare que deux auteurs qui se croisent se soient lus. Du coup ils parlent d’autre chose. Ils parlent de la météo ou du vin.
À donc quinze ans j’ai éprouvé que lire me convenait bien. Lire me donnait l’impression de vivre pleinement ma vie. Moyennant quoi vivre passait par lire. Pour moi, du moins, ça allait passer par là. Pour d’autres c’est l’équitation, la botanique, les voyages, le secrétariat national du Modem. J’ai d’abord lu de la littérature classique, sous contrainte scolaire ou en prolongement de celle-ci. De la littérature française, donc, à quelques exceptions près. En seconde je n’avais pas de fille préférée mais j’avais un siècle préféré – le dix-septième.
Par la suite mes lectures se sont mondialisées, mais surtout rafraîchies. Passé les études de lettres, les vivants sont entrés dans la danse. Les proportions se sont même inversées à partir du moment où j’ai publié. Là j’ai pris le pli de lire surtout mes contemporains, devenus des collègues et aussi un peu des concurrents.
On apprend à écrire en écrivant, mais aussi en lisant. Je lis pour mieux écrire. Je lis pour intensifier ma vie. Lire est intense. Une intensité statique et impassible. Je lis actif. Je ne lis jamais couché, toujours assis et un stylo à la main. Je souligne, je coche, je m’exclame, je tonne. Parfois je barre. Parfois même je corrige. Oui dans cette phrase ce verbe-là irait mieux. C’est très irrespectueux. Heureusement l’auteur ne me voit pas. L’auteur ni personne. Quand je lis Dieu seul me voit.
Pendant longtemps j’ai été un désespoir pour les libraires. Étudiant pauvre puis jeune adulte peu argenté, je n’achetais jamais de livre. Je m’en remettais aux bibliothèques municipales, aux exemplaires jaunis des parents, aux amis. Tout ça dûment assorti de quelques vols. Depuis que j’ai acquis une aisance matérielle grâce aux droits d’auteur et aux animations de séminaire en entreprise, je rachète cette décennie indigne en me fournissant exclusivement chez les libraires, et de préférence « indépendants ». Encore mille achats et ma décennie indigne sera absoute.
Au moins lors de ses débuts indépendants, mon éditeur, Verticales, a dû aux libraires sa bonne réputation, et sans doute sa pérennité. Lorsque l’exposition médiatique est faible, seuls les libraires peuvent faire vivre un auteur. Les libraires ont été pour beaucoup dans le petit succès de mon premier roman, Jouer juste. Par la suite, cela a été moins le cas. On me souffle même que certains libraires affectent de ne jamais me défendre. Qu’ils soient sanctifiés.
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