Nous vous emmenons aujourd'hui à la rencontre de Marjolaine et de sa jeune librairie ouverte à Morlaàs en 2023.
Comme beaucoup de libraires en reconversion professionnelle, je n’ai pas un parcours très linéraire. J’ai d’abord travaillé durant plusieurs années en tant que chargée de projet en développement de sites internet et dans la publicité à Paris, Londres, et Montréal. À l’arrivée du confinement, j’ai questionné mon envie de continuer à travailler dans ce secteur, et je me suis rendu compte que ce n’était plus le cas. Mes proches m’ont alors rappelé que dès mon plus jeune âge, j’ai toujours eu envie de monter une librairie, et qu’il était peut-être temps de sauter le pas. C’est le déclic que j’attendais pour me lancer, et tout a commencé comme cela.
J’étais passionnée de lecture évidemment, mais au-delà de travailler dans ce secteur, je voulais avant tout avoir ma propre librairie, c’est un souhait que j’ai eu très jeune, dès mon adolescence. Je suis alors rentrée en France et je me suis inscrite à l’École de la librairie en parcours de reprise ou création de librairie pour lancer ma reconversion professionnelle. C’est lors de cette formation qu’un des formateurs m’a conseillé de m’intéresser à Morlaàs, près de Pau, où une place était à prendre selon lui. L’étude de marché a confirmé cette intuition et l’ouverture encore davantage, puisque les résultats de la librairie dépassent les chiffres prévus initialement.
Aujourd’hui, la librairie s’est fait une véritable place dans le village. Il ne se passe pas une journée sans qu’un.e client.e n’entre en me disant que l’ouverture de la librairie est une bonne chose et était attendue. Les client.e.s sont adorables, me font confiance et sont très réceptif.ve.s aux animations.
Les choses sont devenues concrètes lorsque je me suis rendue à la Communauté de communes de Morlaàs pour présenter mon projet. Deux locaux m’ont été proposés, dont celui dans lequel la librairie est installée aujourd’hui. L’ensemble des acteurs locaux se sont montrés enthousiastes, il a donc été facile de défendre ce projet.
Je souhaitais ouvrir une librairie où chacun.e puisse trouver sa place et faire en sorte de s’écarter de l’image d’une librairie élitiste qui ne s’adresserait qu’aux lecteur.ice.s de littérature pointue. J’essaie de m’appuyer sur les goûts des lecteur.ice.s pour proposer des livres qui vont les surprendre, et pas de les orienter directement vers quelque chose de radicalement différent qui risque de les braquer. Et j’ai souvent de très bonnes surprises, comme un de mes clients retraités à qui j’ai conseillé Le Chœur des femmes de Martin Winckler et qui est revenu à la librairie en m’expliquant qu’il a été bouleversé par ce qu’il a découvert sur les violences gynécologiques, et que c’est une de ses plus belles lectures. C’est pour ce genre de moment que je fais ce métier.
J’ai mis en place un club de lecture une fois par mois dans le bar proche de la librairie, et je me suis rendu compte que l’organiser dans ce lieu a décomplexé une partie des participant.e.s. Il compte aujourd’hui entre 15 et 25 personnes à chaque rencontre, de l’étudiante à la fac à la retraitée (les membres du club sont toutes des femmes pour l’instant).
Pour l’instant, je me suis fixée un rythme d’une rencontre d’auteur.ice par mois après une période où ces animations étaient organisées une fois par semaine. Ce nouveau rythme me convient mieux, il me laisse le temps de ne pas m’essouffler et de répondre à une attente. Ces rencontres rencontrent par contre un peu moins de succès que les temps d’échange comme le club de lecture, un jeu de piste, et autres. Le club de lecture notamment crée des moments à la fois surprenants et très enrichissants, avec des clientes de générations et aux vécus différents qui se conseillent entre elles.
J’ai mis en place une newsletter et je travaille sur les réseaux sociaux pour communiquer sur les événements de la librairie, en faisant en sorte que cette démarche soit la plus simple possible pour moi. J’ai par exemple créé des mises en page sur Canva selon les besoins (coups de cœur, animations, etc.) et je consacre une journée par mois à la programmation des publications pour ne plus avoir à y penser le reste du temps, avec un rythme d’environ deux publications par semaine.
L’impact sur la venue en librairie et les ventes est évident. Je vois souvent des client.e.s prendre leur téléphone et me demander des titres mis en avant sur mes réseaux sociaux. J’ai aussi installé une étagère spécifique pour ces livres à l’entrée de la librairie pour qu’ils soient bien identifiés, et faire le lien entre mes recommandations en ligne et la librairie physique fonctionne très bien.
À ce jour, ce rythme me convient très bien. Je suis encore dans une période où je prends plaisir à maîtriser tous les aspects de ma librairie parce que la surface et la charge de travail le permettent. Cette première année a été marquée par quelques erreurs dont j’ai appris beaucoup, comme un nombre trop important d’animations sur certaines périodes, mais je suis toujours sûre et satisfaite de mon choix. L’activité de la librairie se développe de mois en mois, des client.e.s me disent continuellement qu’ils.elles viennent de la découvrir. Je pense qu’il y a encore un fort potentiel de développement de la librairie et de ses propositions. C’est très encourageant.
Aujourd’hui, je fais une distinction entre une lecture « travail » et une lecture « plaisir » plus en lien avec mes goûts. J’essaie d’alterner les deux pour pouvoir conseiller mes client.e.s en demande de littérature et de polar, par exemple, tout en conservant des temps de lecture pour des titres de bandes dessinées ou d’imaginaire que j’affectionne particulièrement. Pour moi, les deux sont nécessaires pour satisfaire ses envies et besoins, tout en prenant en compte ceux de la clientèle.
En imaginaire, je recommande très souvent Gods of Men de Barbara Kloss, publié aux éditions Rivka qui propose des titres reliés pour moins de 20 €, ce qui est assez rare sur le marché. Ce sont des récits de fantasy, avec une touche de romance mais surtout une véritable intrigue politique. J’ai aussi souvent conseillé Femme, vie, liberté, sous la direction de Marjane Satrapi et publié aux éditions de l’Iconoclaste. Marjane Satrapi a fait appel à plusieurs auteur.ice.s pour raconter la vague de protestation en Iran suite au décès de Masha Amini sous les coups de la police pour avoir mal porté son voile. C’est un livre qui m’a bouleversée et qui rappelle que les libertés ne sont jamais acquises. Dernièrement, j’ai beaucoup aimé Ce que je sais de toi d’Éric Chacour, une histoire d’amour impossible et d’une homosexualité difficile à assumer dans le Maroc des années 1980. C’est beau et touchant.
Je connaissais déjà l’association en tant que cliente pour avoir commandé des livres à plusieurs reprises sur son portail. En devenant adhérente, c’est la mise en réseau que j’ai particulièrement appréciée, les échanges avec les autres libraires sont précieux. Nous nous rendons compte par exemple que même si nos librairies sont proches, ce sont des titres très différents qui vont y avoir du succès, et c’est très intéressant à constater. Cette mise en relation est très enrichissante et qui aide à prendre du recul.