Les auteurs sont chez eux dans les librairies indépendantes, et nous avons souhaité, à l'occasion de l'anniversaire de la loi Lang, donner la parole à ces amoureux des livres et des mots. Depuis 40 ans, le prix unique du livre permet de conserver un cercle vertueux unique : les auteurs et leurs éditeurs enrichissent les tables des librairies d'une grande diversité de textes, les libraires se font passeurs afin de mettre ces écrits entre les mains des lecteurs. Clients assidus, fidèles ou préférant la pluralité, et surtout amis de la librairie, les auteurs qui ont participé aux tournées de LINA nous parlent du lecteur / de la lectrice qu’ils.elles sont, et de leur lien indéfectible à la librairie.
Notre invité est aujourd'hui Hubert Haddad, poète, romancier, né en 1947 à Tunis, auteur derniè-rement de « La Sirène d’Isé » "Un monstre et un chaos", "Casting sauvage", et "Premières neiges sur Pondichéry", tous parus aux éditions Zulma.
« Un écrivain est d’abord un lecteur, pas nécessairement compulsif, mais passionné, insatiable de mystère et de nouveauté. Lire c’est déjà un peu écrire secrètement au profond de soi. J’ai commencé par la poésie pour n’en plus finir, avec Baudelaire, Verlaine et Rimbaud à treize ou quatorze quand, ce qui s’appelle lire : m’enivrer de mélodies et d’images, en quête d’un secret du bord des lèvres, bien avant d’oser écrire ouvertement. Avec Blaise Pascal aussi, qui m’apprit les pures équations du vertige de la pensée, comme plus tard Nietzsche et Valéry. Puis les mondes hallucinés de la fiction me submergèrent, Balzac, Flaubert, Faulkner, Dostoïevski, les sœurs Brontë, Malcom Lowry, Borges.
Ma table de nuit très vite prit les dimensions de la plus conquérante bibliothèque, instable, désordonnée, envahissant le lit et les rêves. Mais le poète, le romancier ne s’arrête pas à ses lectures, il s’en libèrerait plutôt après avoir parcouru les contrées balisées de la sensibilité. Lire un chef-d’œuvre c’est s’en délivrer grâce à la libre énergie qu’il insuffle : vers l’ailleurs, le lointain. Au crépuscule de l’âge, l’aube est toujours nouvelle et j’aspire plus que jamais à l’émerveillement de la découverte. »
« Lire-et-écrire, cette activité jumelle impliquant une réciprocité constitutive, du moins pour l’écrivain que je suis, fait de moi un pilier ambulant de librairie, où que je sois, à Paris le plus souvent, où les librairies indépendantes de qualité ne manquent pas, on y trouve encore les poètes et les secrets chefs d’œuvres, même si la « politique du fonds » n’est plus guère de mise, faute de place et de moyens (Le ministère de la culture devrait impérativement appuyer cette politique-là en soutenant les libraires (et conséquemment les éditeurs ) à rendre disponible à leur gré les merveilleuses proses disparues sous les grandes marées dites de « rentrée littéraire » ). On trouve toujours un livre pour la nuit et des rêves pour le jour à Paris, boulevard de l’Écume des pages ou rue du Comptoir des mots.
Mes vies antérieures sont des bibliothèques, toutes élaborées au gré de mes chasses spirituelles d’une rive à l’autre de la Seine, toutes perdues ou délaissées dans les aléas de la bonne fortune. La dernière en date restaure en partie la mémoire défaillante, car je ne peux vivre sans Paul Valéry, René Daumal, Emily Dickinson ou Jorge-Luis Borges, et s’enrichit d’imprévisibles nouveautés. De même que les rues de Paris sont les chenaux de mon palais des songes, ses quelques sept cent librairies éparses constituent ma bibliothèque rêvée, inépuisable, que je reviendrai sans doute hanter après cette vie en lecteur fantôme. »
« Vivant et travaillant plutôt à l’écart, guère sollicité par les médias, encore moins par les jurys des grands prix, c’est aux multiples rencontres organisées par les libraires à travers la France que je dois une certaine reconnaissance du public. Je crois bien avoir été invité dans la plupart des grandes villes de Nouvelle-Aquitaine (et quelques-unes de moindre dimension mais toujours de bel accueil), des amitiés se nouant même ici et là, ainsi avec Michel Loyez de la festoyante Librairie Livresse à Villeneuve-sur-Lot. À chaque parution d’un nouveau roman, du moins en temps d’accalmie sanitaire, pas une semaine ne se passe sans qu’un événement en librairie, parfois plusieurs, me conduise dans une région ou l’autre de l’hexagone.
Les écrivains savent pertinemment que leur propre sort et celui de la moyenne et petite édition, seule à se montrer obstinément inventive et à parier sur la qualité, dépendent de l’avenir de la librairie indépendante, rempart essentiel à la survie du livre grâce à la défense de la diversité littéraire, tributaire on le sait du prix unique instauré par la loi Lang. »
Retrouvez la bibliographie de Hubert Haddad et d’autres informations sur le site des éditions Zulma.
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