Les auteurs sont chez eux dans les librairies indépendantes, et nous avons souhaité, à l'occasion de l'anniversaire de la loi Lang, donner la parole à ces amoureux des livres et des mots.
Depuis 40 ans, le prix unique du livre permet de conserver un cercle vertueux unique : les auteurs et leurs éditeurs enrichissent les tables des librairies d’une grande diversité de textes, les libraires se font passeurs afin de mettre ces écrits entre les mains des lecteurs. Clients assidus, fidèles ou préférant la pluralité, et surtout amis de la librairie, les auteurs qui ont participé aux tournées de LINA nous parlent du lecteur / de la lectrice qu’ils.elles sont, et de leur lien indéfectible à la librairie.
Notre invitée est aujourd’hui Ixchel Delaporte, journaliste, auteure aux éditions du Rouergue de Les raisins de la misère (2018), de L’affaire Vincent Lambert (2020) et de Dame de compagnie (à paraître en octobre). Un film documentaire Les raisins de la misère réalisé par Ixchel Delaporte et Olivier Toscer sera diffusé sur France 3 à l’automne.
J’ai un rapport à la lecture extrêmement sévère. Pour moi, ce n’est pas un loisir. C’est une nourriture. Et je n’aime pas manger n’importe quoi. J’ai grandi dans un milieu littéraire, avec un père écrivain et philosophe. Les livres faisaient donc partie des meubles. Est-ce la raison pour laquelle je n’aimais pas lire enfant ? C’est possible qu’il y ait eu un rejet inconscient. Le fait est que j’ai commencé vraiment à lire à l’âge tardif de 18 ans. A partir de mes premières lectures latino-américaines de Garcia Marquez, j’ai ensuite dévoré Dostoïevski, Flaubert, Stendhal, De Beauvoir, Brecht, Balzac, Tosltoï, Duras, Violette Leduc, Albert Londres, Frankétienne, Orwell et j’en passe. J’ai lu tant que j’ai pu.
Et puis, je suis tombée enceinte et j’ai arrêté. Pas totalement mais mon rythme de lecture s’est nettement affaibli. Je suis absorbée par mon fils et par l’écriture de mes propres livres. Ecrire et lire, tout un défi pour moi. Je suis devenue une lectrice occasionnelle, mais avec toujours cette exigence et sévérité. Ne pas lire le premier venu et surtout, je n’ai aucune confiance hélas en la littérature contemporaine. J’ai bien essayé des auteurs confirmés comme Pamuk, Rushdie, Dubois. Mais ça ne passe pas. Alors je me suis mise à lire récemment Zola, tout Zola. Et ce fut une résonance extraordinaire avec mes propres préoccupations journalistiques et littéraires.
Et puis je cherche ce qui correspond le mieux à mes besoins du moment. J’ai lu aussi tout récemment Les Hauts de Hurle-vent, qui m’a beaucoup impressionné par sa puissance évocatrice et surtout lorsque l’on connaît un peu le parcours de l’auteure… Je ne me définis pas comme une grande lectrice. Je suis amoureuse d’un livre ou je ne le suis pas. Je suis fidèle aux auteurs et passionnée par leur passion.
La librairie est un lieu que j’ai découvert tardivement. Il y avait tant de livres chez moi que j’ai toujours eu le sentiment de vivre dans une librairie ou une bibliothèque. Lorsque j’étais étudiante, la librairie Martelle d’Amiens est devenue un lieu de silence et de vagabondage littéraire délicieux.
Les Folio, surtout, j’avais une passion pour les Folio. Je ne voulais acheter que ça, des Folio. Ils sont beaux. Je regardais longtemps la couverture, le tableau, le dessin, la quatrième. J’ai passé des heures dans ces rayons à les parcourir de A à Z, tels qu’ils sont rangés. Et puis, à un certain moment, j’en choisissais un ou plusieurs. Et c’était comme un triomphe d’avoir réussi à trouver celui qu’il me fallait ce jour-là.
Les librairies, pour moi, sont un apaisement. Les gens s’y frôlent, chuchotent. C’est presque un peu religieux. C’est un lieu, où que je sois, qui me paraît rassurant, doux et bienveillant. C’est un lieu de savoir, de découvertes, de grand bonheur.
Les librairies et les libraires ont permis à mon premier livre d’exister. En tant que auteure novice, j’ai compris lors de ma première tournée dans le Bordelais, que sans eux, je n’étais rien. Sans leur engagement à soutenir un livre, à faire le lien avec les lecteurs, à prendre le temps de la rencontre, je n’aurais jamais pu expliquer ma démarche. Je n’aurais pas eu la chance d’entendre ce que des lecteurs qui avaient déjà lu mon livre avaient à me dire.
Les libraires sont nos premiers lecteurs, ils sont des passeurs d’envies, ils sont ceux qui vont conseiller et convaincre. Ils portent le fruit de notre travail. Sans eux, mon livre n’aurait jamais eu l’écho qu’il a pu rencontrer pendant plusieurs mois après sa parution. Je leur rends grâce. Je sais que leur métier est exigeant et difficile. Je sais qu’ils sont passionnés. Je sais le respect qu’ils portent aux livres et aux auteurs. Sans eux, je le répète, nous ne sommes rien. Merci.