Les auteurs sont chez eux dans les librairies indépendantes, et nous avons souhaité, à l'occasion de l'anniversaire de la loi Lang, donner la parole à ces amoureux des livres et des mots.
Depuis 40 ans, le prix unique du livre permet de conserver un cercle vertueux unique : les auteurs et leurs éditeurs enrichissent les tables des librairies d’une grande diversité de textes, les libraires se font passeurs afin de mettre ces écrits entre les mains des lecteurs. Clients assidus, fidèles ou préférant la pluralité, et surtout amis de la librairie, les auteurs qui ont participé aux tournées de LINA nous parlent du lecteur / de la lectrice qu’ils.elles sont, et de leur lien indéfectible à la librairie.
Notre invitée est aujourd’hui Marie-Hélène Lafon, auteure de 13 romans et lauréate du prix Renaudot en 2020 pour Histoire du fils paru aux éditions Buchet-Chastel.
Je suis une lectrice de fond, comme on le dit d’un coureur. J’ai besoin de cette relation intime avec le texte qu’est la lecture, et, dans ma vie, lire et écrire ne se séparent pas ; lire et écrire, c’est respirer, inspirer et expirer. Très concrètement, un jour sans un moment de lecture, fût-il court, c’est très rare pour moi ; à fortiori depuis mars 2020, et ce bouleversement dans nos vies qui a vidé les agendas et libéré du temps…
J’ai tardivement apprivoisé les librairies dont je n’étais pas familière du tout dans l’enfance ni même dans la jeunesse ; je pourrais dire que je n’ai commencé à m’y sentir vraiment tout à fait à l’aise et à ma place qu’après avoir commencé à publier, mais je ne cherche jamais mes propres livres dans une librairie où j’entre pour la première fois, ni ne m’y fais reconnaître.
J’aime fureter, c’est très banal, et humer, palper, feuilleter, happer un morceau de texte, quelques paragraphes choisis au hasard plutôt que la quatrième de couverture ; c’est aussi de la gourmandise ; je demande peu de renseignements, mais avoue tendre volontiers l’oreille quand j’entends telle ou telle conversation entre libraires et lecteurs.
Je suis à l’affût, espionne ou passagère clandestine. En général, je sais plus ou moins ce que je viens chercher, et, comme tout le monde, je me laisse surprendre par ces rencontres fortuites qui entrent pour beaucoup dans le charme des librairies.
Des livres comme ceux que j’écris et publie depuis vingt ans ne doivent leur salut commercial, et donc, éditorial, qu’à la curiosité, la ténacité, la vaillance de quelques libraires qui sont des athlètes ; ils n’ont pas renoncé, d’un livre à l’autre, ont fait le siège des lecteurs et inventé, petit à petit, un noyau dur de fidèles, un mince cercle qui s’est peu à peu élargi, au fil des années. Ma maison d’édition, Buchet Chastel, s’est montrée d’emblée très attentive à ce travail de terrain que les libraires et moi n’aurions pas pu conduire seuls.
À Aurillac, à Paris et ailleurs, aussi souvent ailleurs qu’à Paris, j’ai découvert que j’aimais la rencontre en librairie, la lecture partagée, qui place le texte au centre, l’échange, la discussion, le tout suivi, pour ceux qui le souhaitent, de moments de dédicaces individuelles. J’appelle ça accompagner un livre. Je suis entrée dans les coulisses des librairies, souvent encombrées de cartons ouverts, à ouvrir, à refermer, à renvoyer, à charrier. J’ai pris beaucoup de trains, ai parcouru la France entière, pendant près de deux décennies, entre 2001 et le printemps 2020 où le couperet des restrictions sanitaires est tombé.
Je dois préciser que mon livre le plus récemment paru, Histoire du fils, a obtenu le prix Renaudot, ce qui a facilité le travail des libraires. Histoire du fils, en dépit des circonstances exceptionnelles, a trouvé ses lecteurs, des lecteurs beaucoup plus nombreux que ceux de mes livres précédents, sans que je l’aie vraiment accompagné, et je m’en réjouis, évidemment.
Mais quelque chose manque, les présences, les lectures, à visages ouverts et découverts, le charme des librairies, ces moments qui nous mettent au-dessus de nous-mêmes.
Vivement des temps meilleurs, plus légers, où libraires, lecteurs et écrivains pourront se retrouver autour des textes comme on se rassemble autour d’un feu.
Vivement.